Marine MARTIN
Corentin MORA
Mary PETIOT
L'histoire de la moutarde en Bourgogne

La moutarde à travers les âges
On rapporte que sous la Haute Antiquité les Chinois, les Grecs et les Romains produisaient une pâte fine et aromatique en broyant des graines de sénevé (plante à fleurs jaunes, ancêtre de la moutarde). Les Grecs et les Romains utilisaient par ailleurs les graines de moutarde pour un usage médical. La moutarde est connue pour ses propriétés excitantes et purgatives. Les graines de moutarde en ingestion étaient utilisées pour soigner différentes pathologies (fièvre, chlorose, paralysie). La pâte de moutarde était aussi utilisée en cataplasme pour soigner la bronchite et les rhumatismes.
Petit à petit à côté de l’usage médical, les graines de moutarde ont été introduites dans la cuisine. En effet, elles contiennent deux molécules la sinigrine et la myrosine (on retrouve ces substances également dans la racine de raifort) qui au cours de la préparation de la pâte de moutarde crée par une réaction chimique l’isothiocyanate d’allyle. Cette molécule est une molécule aromatique qui donne ‘le piquant de la moutarde’. En raison de son goût marqué, la moutarde est devenue un condiment incontournable. Aujourd’hui la moutarde est le troisième produit alimentaire le plus consommé dans le monde après le sel et le poivre.
Sous sa forme culinaire, les anciens l’associaient déjà au vinaigre, qui a la propriété d’inhiber les caractéristiques répulsives l’isothiocyanate d’allyle. Les termes ‘moutarde’ et ‘sénevé’ font alors apparitions dans le lexique Français au cours du XIII siècle. En 1292, le mot ‘moutardier’ est référencé pour la première fois dans le registre de la taille royale de Paris. Il désigne le fabricant ou le marchand de moutarde. La moutarde était utilisée pour relever les plats en remplaçant le poivre, qui était à l’époque très cher car importé d’extrême orient. Pendant la Renaissance, la moutarde devient connu des milieux les plus aisés qui la mettaient sur la table lors des fêtes et banquets gigantesques qu’ils organisaient. Au fil des siècles, la moutarde devint un met de qualité synonyme de richesse, de plaisir et, de raffinement.

De la fabrication artisanale...
Avec la révolution industrielle, on passe d’une fabrication artisanale à une fabrication industrielle. Ainsi les graines de moutarde ne sont plus broyées à la main mais à l’aide de meule de pierre mécanisée. D’autre part le tamisage, le triturage et le malaxage de la pâte de moutarde sont également mécanisés. L’approche industrielle a permis d’augmenter le volume de production et a permis de populariser l’utilisation de la moutarde de Dijon en France et partout dans le monde. Les industriels ont redoublé d’ingéniosité en essayant de créer de nouvelles recettes de moutarde (moutarde à l’ancienne, moutarde à l’estragon, moutarde aux fines herbes…).
Devant le succès rencontré par les industriels Bourguignons, des moutardiers parisiens tentèrent de produire de la moutarde sous l’appellation moutarde de de Dijon. Les moutardiers de Dijon attaquèrent en justice les moutardiers parisiens en 1937 afin de protéger l’appellation. Cette démarche a abouti à la publication d’un décret définissant les conditions de fabrication et de dénomination des moutardes (Décret du 10 septembre 1937 pris pour l’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes dans la vente des marchandises et des falsifications des denrées alimentaires en ce qui concerne les moutardes). L’article 3 de ce décret définit précisément le procédé pour bénéficier de l’appellation ‘moutarde de Dijon’. Ce décret a été révisé récemment (n°2000-658 du 6 juillet 2000) et la ‘moutarde de Dijon’ y est défini dans l’article 3.

La moutarde en Bourgogne: une véritable institution
En France, la moutarde n’était pas produite qu’en Bourgogne. En effet, elle était également produite à Paris et à Meaux mais également dans toutes les régions viticoles françaises (Bordeaux, Tours, Reims) car la fabrication de la moutarde permettait de valoriser le vin qui avait tourné en vinaigre. Grâce aux Ducs de Bourgogne qui avaient la réputation d’être de fins gourmets, amateurs de haute gastronomie, la moutarde qu’ils appréciaient beaucoup est devenue une spécialité de la Bourgogne au XIVème siècle. La Bourgogne étant déjà une région connue pour ses vignobles, elle était bien placée pour fournir du vin ou du vinaigre aux fabricants de moutarde. Par ailleurs, la Bourgogne possédait des conditions climatiques et des sols très calcaires favorables à la production de graines de moutarde particulièrement fortes et piquantes. Peu à peu la culture de la moutarde se développa donc dans la région Bourgogne, et les fabriquant de moutarde s’installèrent de plus en plus dans la cité des Ducs.
Très rapidement, la moutarde devient une réelle institution dijonnaise comme en témoigne le premier statut officiel de la corporation des vinaigriers et moutardiers de Dijon datant 1634 ("Statuts et ordres sur le mestier de vinaigrier et moutardier de la Ville de Dijon"). Petit à petit la fabrication artisanale de la moutarde à laisser place à la fabrication industrielle qui a été rendue possible par la découverte en 1752 par Jean Naigeon, un Dijonnais, de l’utilisation du verjus (jus acide extrait des raisins verts ayant des propriétés semblables (acide citrique) au jus de citron qui était très onéreux à l’époque). Le verjus additionné à la graine de moutarde brune broyée vient parfaire la qualité de la pâte de moutarde. Des lors la noble Moutarde de Bourgogne connaît une renommée mondiale de haute qualité. Plus tard les travaux de Louis Pasteur expliquent la transformation fermentaire d’origine microbienne du vin en vinaigre. Ils ont permis de stabiliser la production de vinaigre de vin qui peut remplacer le verjus dans la fabrication de la moutarde. Il existe de nombreuses utilisations inattendues de la moutarde (voir encadré les usages inattendues de la moutarde).

... à la fabrication industrielle
Le procédé de fabrication implique plusieurs étapes (Figure 1). Après la réception, le contrôle et le nettoyage des graines de moutarde, la première étape consiste à aplatir les graines l’écorce des graines pour que l’amande puisse s’imprégner du verjus ou du vinaigre. La seconde étape consiste à tremper et malaxer les graines aplaties dans le verjus ou le vinaigre pendant quelques heures (pour former allyl isothiocyanate à partir de la sinigrine). La troisième consiste à broyer le mélange entre deux meules de pierre. La quatrième consiste à tamiser le mélange pour séparer par centrifugation la pâte de moutarde du son (fragment d’écorces du grain). La cinquième consiste à stocker pendant quelques jours la pâte pour dissiper son amertume. La sixième étape consiste à malaxer sous vide la pâte afin d’éliminer l’oxygène de l’air qui pourrait oxyder la moutarde. La pâte de moutarde peut éventuellement être stockée dans des foudres avant d’être conditionnée (en pots, verres et dosettes).
De nos jours, la fabrication de la moutarde est essentiellement industrielle et les principaux acteurs font partie de grands groupes industriels implantes dans le monde entier (Unilever (Maille, Amora), DEVELEY Senf & Feinkost GmbH (Reine de Dijon)). Ainsi, sur les 82.000 tonnes de pâte de moutarde produite par an, 96 % est produit en Bourgogne.
Parmi les marques industrielles de moutarde les plus connues, Amora dont la marque a été déposée en 1919 au greffe du tribunal de commerce de Dijon par Armand Bizouard, a connu de nombreuses évolutions et un développement mondial. Après la session de la marque Amora, Raymond Sachot reprend de nombreuses moutarderies bourguignonnes pour créer la société SAB (Spécialités Alimentaires Bourguignonnes) qui connaîtra un développement mondial en étendant sa marque sur les vinaigrettes, ketchups, mayonnaises ou cornichons. Cette entreprise deviendra rapidement le leader français du secteur des condiments et un des leaders mondiaux. Dès lors le groupe passera dans les mains de différents groupes internationaux (Rotschild, Genérale Occidentale, Danone) pour aujourd’hui appartenir au groupe Unilever.
Il ne reste qu’une entreprise familiale ‘la moutarderie Edmond Fallot’ à Beaune dirigée par Marc Désarménien et qui a fait le choix de communiquer son savoir auprès du grand public en présentant un musée sur la moutarde. C’est au XVII siècle qu’apparaissent les premières moutardes fines et aromatiques.